Car les mots ne transportent rien. Les mots sont des vases vides. Le sens des choses est ce que chacun daigne verser dans ces vases ouverts devant eux. Dans les mots vides. Ils sont la source de toutes les divergences humaines, tandis que le silence est roi de l'unité. Qui n'a jamais été mis au pied du mur du langage, devant son incapacité à transmettre la vérité ? Qui s'est satisfait d'un « je t'aime » quand ce message ne disait rien de ce qu'était vraiment l'amour ? L'absence de mots pour exprimer la profondeur d'un sentiment comme l'amour n'est pas un oubli de la langue, ce n'est pas une carence ou une négligence du langage... C’est la preuve que les mots ne sont que des formes données autour de quelque chose qui est autre, quelque chose qu'ils ne pourront jamais contenir, quelque chose qu'ils détruisent en voulant le signifier et que seule la chasteté du silence peut épouser.
Celui qui parle est comme celui qui voudrait tenir l'océan dans ses mains. Même s'il arrive à prélever quelques gouttes de l'immensité des eaux, elles s'écoulent d'entre ses doigts pour que finalement il ne retienne rien de l'océan devant lui, et ne garde que l'humidité comme souvenir de son échec. Les mots sont des mains plongées dans l'océan, qui en ressortent humides, mais qui n'ont pu saisir l'essence de l'océan. Parfois une infime goutte d'eau. Parfois un trésor enfoui depuis des siècles par le fond. Parfois algues pourrissantes. Parfois crevette, anguille ou même quelque monstre marin. Mais jamais elles ne retiendront l'océan tout entier.
En voulant signifier, le langage corrompt. « Je t'aime... tu mens... je voudrais.... non.... »
Tous ces mots ont en commun qu'ils ne signifient plus rien. Ainsi que tous les autres. Je vous dis océan, et vous, que voyez-vous ? Que voient ceux qui n'ont jamais vu l'océan ? Que voient ceux qui n'ont jamais éprouvé sa colère ? Que voient ceux qui n'ont jamais senti la profonde solitude de l'étendue des eaux embrassant tous les horizons ? Que pouvons-nous voir de l'océan, nous qui n'avons jamais senti toute sa profondeur, toute la nuit éternelle de ses fonds merveilleux, nous qui n'avons jamais vécu dans l'horreur et le carnage des monstres qui l'habitent et n'ont de cesse de se reproduire pour ensuite s'entre-dévorer ? J'ai vu l'océan et pour vous le montrer j'ai plongé mes mains dedans puis j'ai couru les tendre vers vous en vous disant : « regarde, voilà l'océan ! ». En voulant signifier l'océan, je n'ai fait que brasser de l'eau. Je n'ai rien dit de l'océan. Il en est de même pour chaque chose.
La vérité n'est jamais saisie, aucune vérité ne loge dans un vocable, qui n'est que contenant mal adapté au contenu souhaité. La vérité ne se dit pas. Elle s'éprouve parfois. Et toujours elle démontre l'inutilité des mots. C'est en silence que s'aiment le mieux les amants. En silence que le chien comprend mieux son maître. En silence que les rêves s'épanouissent. En silence que la vérité est enfin libre de s'étendre, de se répandre, de grandir sans être limitée par les vaines frontières des mots dressées pour la contenir. Car le silence est dans toute chose, sauf dans les mots. Le regard est un silence, la caresse est un silence, l'étreinte est un silence. L'amour est un silence. Les étoiles, la montagne, les temples. La mort. L'immensité des larmes. Tout est silence. Le hurlement du loup est forme du silence. Alors que les mots de l'Homme, eux, sont entrave à ce Dieu qui règne en toute chose. Ne voyez-vous pas qu'ils se mentent entre eux ? Sachez délaisser les vains mots, vous gagnerez en profondeur quant à votre amour, quant au sens véritable. Sachez enfermer la vérité dans le silence de votre amour. Elle recouvrera sa grandeur.