Elle parle dans tous les hommes. Son vrai message, c'est l'amour. La seule chose qui nous rende semblables. Car autrement tout nous sépare. Ce qui nous unit, c'est Son Amour seul. Pas cet amour égoïste qui attend de recevoir, mais bien l'amour donné. L'amour dû. Sans lui tout est souffrance, sans lui tout est déception, sans lui tout est tristesse. Car celui qui attend d'être aimé en retour est celui-là même qui souffrira le plus. Car celui qui voudrait que l'amour soit équilibre entre deux êtres est perdu. L'amour est ce que tu dois, non ce qui t'est dû. Ne t'était dû que ce que tu possèdes déjà ou du moins si tu ne le possèdes pas, ce dont tu jouis déjà. Ne t'est due que la vie.
L'équilibre viendra ou ne viendra pas de ce que tu aimeras ou n'aimeras point. L'amour est la contrepartie, la dette des Hommes envers la Vie. Car Elle est équilibre et Elle est absolue. Son équilibre est absolu. L'équilibre est la loi qui dirige toutes les autres lois. Sans l'amour, ta vie n'est que déséquilibre, que glissement vers la mort. C'est l'ennemi sur lequel la vie s'appuie pour ne pas s'effondrer, l'ennemi plus utile que l'ami, l'ennemi qui forge et qui élève. L'amour est une force qui tend dans une direction opposée non à celle de la haine, qui n'est que dérivée de l'amour, mais à celle de la Vie. La vie donnée n'est pas gratuite, sinon elle ne serait que déséquilibre. La vie attend l'amour pour être. L'amour en échange de la vie. La vie en échange de l'amour.
Comme celui-là qui paye ses créances pour jouir d'un bien qu'il ne possède pas, nous avons le devoir d'aimer pour jouir de la vie. L'erreur est que nous dilapidons l'amour qui est dû, que partout nous creusons la dette, croyant qu'en recevant de l'amour nous pourrons plus tard la rembourser. C'est une aberration. Nous misons tout l'amour que nous possédons au jeu, et nécessairement il est perdu, nécessairement la dette se creuse, la Vie perd de son équilibre. Certains ont plus de chance que d'autres, certains maitrisent mieux le hasard. Certains arrêtent de jouer avant qu'il ne soit trop tard. Mais tous, oui tous, nous allons dépenser cet amour qui n'est pas à nous, et nous allons le faire bien futilement, dans la chair ou dans la passion, par l'ignominie du jeu. Alors que la Vie attend d'être aimée pour Elle-même, non pour les êtres qu'Elle anime, non pour celle-là dont le sourire nous transporte, non pour cet enfant qu'Elle nous a donné, non pour ces joies reçues, non pour les merveilles crées. Elle attend d'être aimée parce qu'il est évident qu'Elle doive l'être et qu'il ne peut en être autrement. Pas d'amour sans une vie d'Amour, pas de vie sans l'Amour d'une vie. C'est un équilibre immuable.
Le déséquilibre nait de l'amour reçu, de l'amour rendu, de l'amour gardé jalousement dans les greniers des Hommes. La Vie ne garde rien pour Elle, Elle donne tout, Elle donne à chacun la même possibilité de L'aimer en retour. Il nous faut donner tout l'amour en échange. De là la souffrance. De là la déception. De là la tristesse. Du déséquilibre. L'amour ne doit jamais être échangé contre de l'amour. Ce n'est pas une quelconque monnaie. Il ne vaut que la Vie.
REGARD SUR LE BONHEUR
Le bonheur a une ombre comme nous. C'est en partant de ce constat que je suis arrivé à une conception, ou plutôt est ce juste une vue — un regard sur le bonheur, puisque cela ne le prend pas en compte en tant qu'abstraction, mais plutôt en le figurant comme une réalité. Voyons cette entité, le temps d'une métaphore, comme un être humain ou plutôt un monument exposé au soleil le temps d'une journée.
En tout premier lieu, au moment de naitre, comme s'il sortait de la nuit, le bonheur est tourné vers l'est ; il regarde le soleil se lever. Dans cette situation ses formes sont confuses, encore ombragées, à peine éclairées par la pâleur du matin et rien ne laisse deviner l'ombre qui se dessine déjà derrière lui. C'est le moment de l'espoir. Sans doute le plus intense et le plus beau moment du bonheur.
Ensuite, et ce, très rapidement, vient la pleine lumière. C'est la période d'aveuglement : le soleil se tient face à lui, et le bonheur de ce moment est le plus savoureux d'entre tous. Rien d'autre autour ne semble exister que cette lumière puissante qui occulte le reste. Entendons-nous : ce bonheur n'est pas sans tache, puisque c'est le moment où l'ombre derrière lui est la plus étendue, la plus menaçante ; c'est une force invisible qui est d'autant plus grande et sombre que de l'autre côté l'éblouissement est puissant. Moment que nous pourrons qualifier d'insouciance : l'enfance du bonheur.
Quelque part, entre cet instant et la période suivante il y a un point de plénitude. Midi au soleil.
Le bonheur se tient maintenant debout sur son ombre, tout le reste n'est que lumière, ils ne font plus qu'un en se superposant et pendant la fraction d'une seconde insaisissable, le bonheur est total, intègre. C'est l'apogée. Apogée qui implique, vous l'aurez deviné, le déclin qui en découle. Dès cet instant où l'ombre avait disparu, faisant du bonheur un être complet, rayonnant de par la lumière environnante, dès cet instant a commencé l'apparition du doute. Déjà aux pieds de ce monument toujours dressé dans la lumière, un point d'ombre fait sa sournoise apparition et croît indubitablement. La conscience de cet instant peut-être aussi bien infime que terrible : Certains bonheurs s'effondrent instantanément à la seule idée que cette ombre les recouvrera bientôt tout entiers. Mais dans la plupart des cas, s'en suit une longue période de désillusion. Le début de la fin du bonheur... à mesure que l'ombre grandit, cette désillusion se fait de plus en plus totale. D'abord, c'est l'avenir qui est compromis. On réalise que la lumière passe de l'autre côté, et qu'il est impossible de se retourner, de faire machine arrière. On a peur, peur de ce qui va suivre parce que l'on sait – mais qu'on refuse encore de croire.
Ensuite, mais pas toujours, survient un événement terrible. Le soir approche. On se souvient de la lumière, car elle est toujours présente partout autour de cette grande tache noire étendue devant nous qui semble pouvoir encore se développer à l'infini. On se souvient d'elle et ce souvenir devient douloureux puisqu’il nous est impossible d'y être à nouveau exposé, impossible de ressentir sa chaleur apaisante. Le bonheur est maintenant bien plus petit en lui-même que cette ombre ; et il prend conscience que sa grandeur et sa plénitude sont derrière lui. L'aveuglement du début apparaît comme une erreur, et pourtant on ne peut s'empêcher de vouloir le revivre. Sois dit en passant, il était impossible de se soustraire à cette fatalité : comment aurait-on pu avoir la clairvoyance connue à présent dans le repos de l'ombre, étant noyés – contre son gré — dans l'insouciance ? Tout ce qu'il reste à faire, c'est contempler le passé lumineux et accepter le sombre futur. Voilà la mélancolie.
Devant lui, l'ombre est immense. C'est bientôt le crépuscule. Il n'a pas cessé depuis qu'il doute de se préparer à cet instant et pourtant il ne se sent pas prêt. Soit il se résigne, soit vient le désespoir. Le désespoir, c'est l'espoir de ceux qui savent qu'il n'y en a plus. N'oubliez pas que nous parlons bien du bonheur : même dans l'ombre il n'est pas question de « malheur ». Cette ombre vient et tout redevient confus, bien que cette fois l'horizon soit plus noir qu'il ne l'a jamais été. Ce moment nous rappelle pourtant l'aube. Elle nous manque...Pendant que la nuit s'acharne à englober toutes choses, c'est l'obscurité qui devient totale à son tour comme l'avait fait auparavant cette pleine lumière perdue. C'est la mort. Le bonheur, impassible spectateur de cette journée, se tient toujours immobile à sa place, ainsi qu'il l'a toujours fait ; cependant alentour il n'y a que pénombre. Il reste ainsi debout hors du temps, tache noire dans la nuit noire, jusqu'à s'oublier lui-même. Jusqu'à ce que l'horizon rougeoie de nouveau.
Jusqu'à l'aube suivante...
Voici le schéma d'une existence tel que nous avons déjà pu chacun le reconnaitre sans doute dans les traits de notre propre bonheur. Cette théorie est nécessairement fausse à un certain degré, que je vous demande d'excuser. Bien entendu, je le répète, ce n'est qu'une figuration. Le bonheur reste à mon avis une abstraction indéfinissable, et il est impossible de lui attribuer tel ou tel caractère ou schéma immuable. Chaque bonheur a une existence unique et même s'ils ont tous une essence commune, qu'ils forment la même entité du Bonheur, ils restent une multitude d'entités indépendantes. Leurs ombres sont aussi imprévisibles qu'eux, puisque chacune vient d'un soleil qui lui est propre ; et que lorsque les bonheurs se croisent, ils se trouvent exposés au hasard des lumières et des ombres qui les entourent.